La grille du men (ou men-gané) de notre partenaire est la cible sur laquelle se focalise toute notre attention. L’habitude aidant, le kenshi ne voit plus la grille qui le protège, lui. Notre propre men-gané est pour ainsi dire invisible à notre regard. Sans doute est-ce dû à sa proximité avec nos yeux ; mais cela tient aussi à la couleur de la peinture qui le recouvre. Nous reproduisons ici le témoignage d’un senseï consacré à cette question. Ce texte a paru au début des années 1980 dans le 5e numéro du fanzine « La voix du kendo ». L‘auteur du texte original japonais n’est hélas pas cité dans cette publication, qui mentionne en revanche le nom de la traductrice, Mme Poirot. Nous reproduisons ci-dessous le texte de sa traduction, légèrement amendé.
Discours sur le Men-Gané
L’équipement protecteur de kendo que nous utilisons actuellement peut être considéré comme presque parfait pour une poursuite des recherches techniques en kendo ; il est le fruit d’expériences et d’améliorations ancestrales.
Cette histoire se passe après la dernière guerre. Poussé par un courant de modernisme, on avait alors tendance à changer la forme et les coloris des protections de kendo. On commença ainsi à rendre l’équipement totalement différent de celui d’autrefois pour le commercialiser. J’occupais à cette époque la place de responsable du choix officiel entre l’armure moderne et l’armure traditionnelle. J’ai immédiatement expérimenté le nouvel équipement dans différente conditions.
En résumé, j’ai constaté qu’en dépit des changements de coloris et de formes, si l’on s’attache au point de vu technique du kendo, le nouvel équipement ne pouvait être comparé à l’équipement traditionnel.
Ce fut une excellente occasion pour moi de découvrir le soin que prenaient nos ancêtres dans la réalisation de chaque partie des protections, jusque dans le moindre point de couture. La « peinture rouge” qui couvre l’intérieur de la grille du men est pour moi le point le plus intéressant.
Je m’aperçus que cette peinture n’était pas simplement là pour éviter la rouille mais qu’elle intervenait sur la vision de celui qui porte le men. Dans le nouveau men, cette peinture était bleue. Quand nous l’utilisions, la lumière qui venait de face, nous aveuglait et nous faisait cligner les yeux ; à cela, s’ajoutait encore une fatigue de la vue. Finalement, ce nouveau men ne fut pas retenu. Je ne savais pas à l’époque, quel rapport de cause à effet pouvait bien exister avec cette peinture rouge et cette peinture bleue.
Plus tard, en mai 1961, dans le journal Yomiuri, une thèse fut présentée sous le titre « Deux docteurs en médecine nés de la couture japonaise »? La thème de leur recherche était « L’étude physiologique et hygiénique de la couture japonaise à la main« . L’enquête étudiait les différents degrés de fatigue selon l’attitude de la couturière, la couleur de la lumière (de l’ampoule), du tissu, du fil et leurs différents coloris.
J’avais été particulièrement intéressé par le rapport entre la lumière et les coloris. Voici un extrait de cette thèse: « La puissance idéale d’une lampe pour la couture est de 100 watts, type lumière du jour. Viennent ensuite la lumière jaune et la lumière rouge. En ce qui concerne la couleur du tissu, contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, les couleurs stimulantes, jaune et rouge, sont les moins fatigantes. Ensuite viennent le vert, le bleu et le noir. Après 30 minutes, le rouge laisse moins de traces de fatigue que les autres. Il résulte de cette enquête que le rouge est la couleur qui convient le mieux. »
Le résultat de ces enquêtes n’a peut-être que peu de rapport avec le kendo, mais il m’a fait panser à mes expériences sur l’influence des couleurs rouge ou bleu à l’intérieur de la grille du men. Je me suis réjoui de trouver un point commun avec cette enquête. Je rendis à nouveau hommage à nos ancêtres, à leur attitude consciencieuse pour le développement des techniques du kendo.
Depuis quand, cette pointure fut-elle utilisée ? L’époque n’est pas certaine. Mais en réunissant les avis des intéressés, on peut supposer que cela remonte au début de l’ère Taïshô, vers 1910.