Les tachikiri de Yamaoka Tesshu

Yamaoka Tesshu (1836-1888) fut une figure éminente de la période troublée qui vit la naissance du Japon moderne. Tesshu fut membre de la garde personnelle de Tokugawa Yoshinobu quinzième et dernier Shogun et participa aux négociations qui transférèrent pacifiquement le pouvoir du shogun vers l’empereur.

Tesshu s’entraîna sans relâche depuis l’age de 9 ans. Bénéficiant d’une morphologie exceptionnelle pour l’époque (env 1,8 m) il ne ratait aucune occasion de se mesurer aux autres.
Il atteint l’éveil à l’age de 45 ans.

Attitude à adopter pour un débutant

Ceux qui étudient l’escrime ne doivent pas être emprisonnés dans les concepts de bien-mal, défaite-victoire pendant les premières années de pratique. De façon à ne pas développer de mauvaises habitudes, pratiquez de tout votre être, avec force et sans retenue, maniez le sabre encore et encore, étendez vous pleinement et concentrez vous pour exécuter les techniques naturellement. Alors, finalement la vraie force naîtra; toute raideur disparaîtra et les techniques pourront être faites librement. Les mouvements de l’adversaire pourront être détectés avant qu’il ne frappe – on saura intuitivement où frapper et toute attaque pourra être repoussée. N’ayez pas de pensée confuse ni de doute, ne déformez pas les techniques; sans délais entraînez vous encore et encore!

Yamaoka Tesshu, juin 1880

Le livre ci après est très certainement hagiographique mais n’ayant pas accès à d’autres sources il est difficile de savoir dans quelle mesure il enjolive la réalité. Est traduit ici un passage relatant d’une épreuve réservée aux pratiquants les plus avancés.
Quand on voit les vidéos de l’épreuve moderne qui dure 3H, shiais de 5mn, sans sanction pour comportement brutal (voir liens en fin d’article) et qui est réservée à des kenshi de haut niveau, on se demande comment il est possible de survivre à l’épreuve de Tesshu !

Extraits du livre non traduit en français à ce jour The sword of no sword – Life of the master warrior Tesshu – John Stevens – ISBN 0-87773-284-1 :

Pour les pratiquants les plus avancés, Tesshu avait des pratiques plus exigeantes. Tesshu initia ce qu’il appela «Seigan». Seigan est un mot bouddhiste signifiant «vœu» comme le vœu de Shakyamuni d’atteindre l’éveil ou d’un Bodhisattva de sauver tous les être sensibles. Dans ce cas c’était le vœu de défier la mort pour atteindre l’essence de la pratique du sabre.

Il y avait trois sortes de seigan. Le premier seigan était généralement précédé d’une période de 1000 jours consécutifs d’entraînement. Au dernier jour de la période, le candidat devait affronter d’ autres pratiquants lors de deux cents combats. À l’exception d’une courte pause d’un déjeuner fait d’un bol de riz et de quelques prunes, le kenshi faisait face continuellement à de nouveaux adversaires (Tachikiri) . L’épreuve se déroulait depuis tôt le matin jusque dans l’après midi jusqu’à avoir fait face aux deux cents adversaires (il n’est pas dit comment chaque combat se terminait mais on peut penser qu ‘ils pouvaient durer 3 à 4 mn contre 5mn dans la version moderne NDT).

Les candidats ayant réussi pouvaient, après plus d’entraînement, entreprendre le deuxième seigan : six cents combats sur une période de trois jours suivant le même principe que le premier seigan.

L’épreuve ultime était le troisième seigan, un marathon de sept jours, mille quatre cents combats qui sollicitait les ultimes limites de l’endurance physique et mentale du candidat.

Tesshu écrivît: «La pratique du sabre doit conduire au cœur des choses ou l’on peut directement confronter la vie et la mort. Récemment la pratique du sabre est devenue un simple passe temps sans attention aux choses importantes. Pour contrecarrer cette tendance, j’ai institué un entraînement d’une semaine de mille quatre cents combats. Au départ le pratiquant trouvera que l’épreuve est similaire aux autres entraînements ; toutefois, alors que les combats se succéderont, cette épreuve deviendra un combat ultime — l’on devra compter sur la force mentale. C’est là la vraie pratique du sabre. Si la détermination est absente, il n’y aura pas de progrès quel que soit le nombre d’années de pratique. C’est pourquoi j’ai créé cette méthode pour tester la détermination de mes élèves. Fortifiez votre esprit et consacrez-vous à cette pratique ! »

Il reste deux témoignages de kenshi ayant effectué un seigan: Kagawa Zenjiro était le premier candidat: «Le premier jour, les combats ont commencé à 6H. Dix opposants se relayèrent face à moi et à part une courte pause pour déjeuner je ne me suis pas assis ni n’ai enlevé mon équipement jusqu’à ce que j’aie eu terminé 200 combats vers 6h le soir. C’était exigeant mais j’étais en bonne forme. Cependant un de mes camarades d’entrainement se présenta le soir chez moi avec un message de Tesshu sensei: «Tu te laisses aller, tu dois travailler plus»

«Le deuxième jour je décidais de tout donner. Tesshu avait aussi donné comme instruction à mes opposants d’être sans pitié. Au milieu de l’après midi, j’étais complètement épuisé. Je réussis néanmoins à terminer le nombre de combats requis et rentrai péniblement à la maison. Mes jambes me faisaient si mal que j’étais incapable de me lever pour aller aux toilettes. Le lendemain je chancelais dans le dojo à peine capable de me tenir debout. À ce moment, un ancien élève entra dans le dojo pour s’opposer à moi, c’était un homme fourbe, grossier, bien connu pour ses coups bas, ce qu’il aimait c’était blesser sérieusement ses adversaires. Ma douleur et ma fatigue disparurent soudainement, je me concentrai entièrement sur cet opposant sournois. Même s’il me fracassait le crâne, lui aussi tomberait. Je levai mon sabre au-dessus de ma tête et j’allai bondir sur lui quand Tesshu s’écria «Excellent ! Excellent ! Arrêtez maintenant ! » J’étais surpris, car je n’avais pas atteint le nombre de combats requis mais Tesshu me dit de ne pas m’en faire et de rentrer chez moi. Je ne pus ni manger ni dormir cette nuit-là. Ma femme m’aida à me lever le lendemain matin, il pleuvait et je ne pouvais pas lever les bras pour tenir un parapluie, elle m’enveloppa dans une couverture. J’allai jusqu’au dojo persuadé que c’était mon dernier jour sur cette terre, j’étais déterminé à mourir plutôt que de ne pas terminer le seigan. Quand j’arrivai, Tesshu m’attendais : «prêt à continuer ? » demanda-t-il. Je répondis immédiatement que oui. À ma grande surprise, Tesshu m’ordonna d’arrêter et laissa les autres pratiquants terminer la session. » Parce que Kagawa avait réalisé l’état de «sabre sans sabre» Tesshu n’avais pas besoin de l’éprouver davantage.

Yaganit Tanjiro termina le seigan de deux cents combats le dernier jour de sa période de mille jours d’entraînement. Il s’entraîna ensuite pendant cinq cents jours de plus d’affilée et se soumit au seigan de trois jours et six cents combats. Les coups infligés par le shinaï court du style Muto Ryu étaient très douloureux. Yanagita se souvient : « après mon premier jour, mon crâne était couvert de bosses et mon corps de bleus, mais je ne me sentais pas affaibli. Le deuxième jour je commençai à souffrir. Je pensais que je devrai abandonner à mi- chemin. Je réussis à continuer et à la fin du jour j’éprouvai la sensation d’être en «dehors de moi» — je me fondis naturellement avec mon adversaire et me déplaçais avec une liberté absolue. Bien que mon esprit soit fort, mon corps était très affaibli. Mon urine était rouge sombre et je n’avais pas d’appétit. Néanmoins je réussis à terminer le dernier jour avec un esprit clair, j’avais la sensation de flotter dans les nuages. »

Tesshu n’était pas ému par une telle dureté. Il dit un jour à ses disciples : «Quand j’avais 24 ans j’ai participé à un entrainement et effectué mille quatre cents combats en sept jours. Je ne me souviens pas d’avoir été fatigué ou d’avoir mal quelque part. Il y a des victoires et des défaites dans le combat, mais forger son esprit est bien plus important. Quel est le secret ? L’esprit est sans limite. Ayez cet état d’esprit en faisant face à vos adversaires, intégrez-le à vos mouvements et vous ne serez jamais fatigué quel que soit le nombre de jours ou de combats que vous ayez. Étudiez ceci et entraînez-vous plus durement ! »

Il n’existe malheureusement pas de témoignage de première main par les deux kenshi qui ont réussi le seigan de sept jours : Kominami Yasutomo et Sano (Tojo) Jisaburo. Selon les archives du Shunpukan, huit kenshi réussirent le seigan de deux cents combats sur un jour. Ogura Tetsuju et Yanagita Ganjiro réussirent mille jours d’entrainement suivi du seigan de un jour. Yanagita termina le seigan de trois jours comme Kanawa Zenjiro. Deux kenshi, Kominami Yasutomo et Sano Jisaburo réussirent les trois seigan de un, trois et sept jours.

Vidéo en japonais du Tachiki d’un pratiquant de haut niveau M.Ogata qui semble avoir été le premier à le faire en jodan ! Je ne comprend pas le japonais mais c’est poignant. (j’ai fait commencer au 25eme combat sur 33)
https://www.youtube.com/watch?v=fCnBLbDG9zM

Tachikiri à Yuzawa, Akita Prefecture
https://www.youtube.com/watch?v=PWpTetssT0s

Article en anglais sur le tachikiri avec vidéo ci dessus.
https://kenshi247.net/blog/2010/06/07/tachikiri/

Un autre article (en anglais) sur les tachikiri, la police Japonaise pratiquait des tachikiri de 12 heures au début du 20eme siècle !
http://asaikarate.com/what-is-tachikiri-training-%E7%AB%8B%E5%88%87%E3%81%A3%E3%81%A6%E4%BD%95%E3%81%A0/

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